La France et l’Allemagne se tiennent prêtes à lutter contre l’ingérence étrangère avant les élections

« Nous savons qu’il y a des puissances étrangères qui investissent des millions d’euros dans les outils de désinformation et nous serions très naïfs de ne pas réagir », confie la député Laetitia Avia (La République en marche). [LP2 Studio/Shutterstock]

À l’approche d’élections clés, l’Allemagne en septembre et la France l’année prochaine, Berlin et Paris prennent des mesures pour lutter contre la manipulation attendue des informations en ligne par des puissances étrangères.

Début juin, la France a annoncé qu’elle lancerait en septembre une agence chargée de lutter contre la désinformation étrangère et les fake news, moins d’un an avant sa prochaine élection présidentielle.

La députée française Laetitia Avia (La République en marche) a salué cette annonce, soulignant la complémentarité entre l’agence, qui se concentrera sur l’origine des menaces, et la législation, qui se penchera sur les moyens d’atténuer leurs conséquences.

« Nous savons qu’il y a des puissances étrangères qui investissent des millions d’euros dans les outils de désinformation et nous serions très naïfs de ne pas réagir », confie-t-elle à EURACTIV.

Lors de la dernière élection présidentielle française en 2017, des groupes associés à la Russie avaient déjà été accusés d’un piratage massif du nouveau parti d’Emmanuel Macron, alors candidat.

« Nous avons raison d’être inquiets », confirme à EURACTIV l’eurodéputé Sandro Gozi (Renew Europe), qui siège au sein de la commission spéciale du Parlement européen sur l’ingérence étrangère.

« Il ne s’agit pas seulement de lutter contre l’ingérence, mais de garantir l’intégrité de nos démocraties et l’intégrité de notre processus démocratique », précise-t-il, ajoutant que « c’est inacceptable, que ce soit décisif ou non ».

Toutefois, M. Gozi souligne que « les défis de 2022 ne sont pas les mêmes qu’en 2017. »

Une nouvelle agence pour lutter contre la désinformation étrangère

La nouvelle agence française n’aura pas pour but de « corriger ou de rétablir la vérité », a déclaré le Secrétaire général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN), Stéphane Bouillon, aux législateurs français. En audition à l’Assemblée nationale, il a souligné que l’agence visera à « détecter les attaques quand elles viennent de l’étranger, pouvoir les caractériser et d’une certaine manière les attribuer ».

Tout cela dans le but de permettre « aux hommes politiques, aux diplomates, à la justice et la presse de constater que sur 400 000 tweets de reprise de telle ou telle information, 200 000 viennent d’une ferme à bots dans une région hors de notre pays ou que tel débat provient d’une ferme à trolls », a ajouté M. Bouillon.

Au niveau de l’UE, une telle agence ne sera pas une première. La task force East Stratcom a été créée en 2015 après que le Conseil européen a « souligné la nécessité de contrer les campagnes de désinformation menées par la Russie ».

Toutefois, un rapport spécial de la Cour des comptes européenne, publié au début du mois, a pointé du doigt un manque de coordination et de financement à long terme et a qualifié le plan d’action de l’UE pour lutter contre la désinformation d’« incomplet. »

Le combat de l’UE contre la désinformation jugé insuffisant par la Cour des comptes européenne

Le combat de l’UE contre la désinformation est insuffisant face aux « menaces émergentes », venues notamment de Chine, et il manque de coordination, a mis en garde la Cour des comptes européenne dans un rapport publié jeudi (4 juin).

Des mesures législatives pour lutter contre la désinformation en Allemagne

M. Bouillon a également déclaré que son agence suivrait de près les élections législatives allemandes de septembre.

Les autorités allemandes se préparent en effet à se défendre contre les campagnes de désinformation et de fake news. Dans le contexte de pandémie de Covid-19 et de l’accélération de la digitalisation de la société, les élections devraient être particulièrement vulnérables à ces menaces.

Un rapport du projet phare du SEAE, EUvsDisinfo, mettait déjà en garde en mars contre des campagnes systématiques contre l’Allemagne.

« Aucun autre État membre de l’UE n’est attaqué avec plus d’acharnement par la désinformation que l’Allemagne », affirmait le rapport. La base de données EUvsDisinfo a recueilli plus de 700 cas de désinformation visant l’Allemagne, contre 300 cas en France.

« Les campagnes de désinformation et les fake news sont une menace sérieuse pour la démocratie », admet à EURACTIV Hansjörg Durz (CSU), vice-président de la commission numérique au Bundestag. Mais les réglementations dans ce domaine sont néanmoins problématiques, car il faut trouver un compromis entre la lutte contre la désinformation et les droits fondamentaux, comme la liberté d’expression.

C’est ce que l’eurodéputé Sandro Gozi qualifie de « zone grise » : « une zone qui se prête à une évaluation discrétionnaire et qui doit évidemment être placée sous la supervision ultime des autorités publiques ».

Toutefois, les législateurs allemands ont récemment pris des mesures pour endiguer le problème, notamment avec l’adoption de la loi sur l’application des réseaux (NetzDG), qui tente de réprimer les discours de haine en ligne et les « fake news » et « établit des règles claires en ce qui concerne les remarques criminelles sur les réseaux sociaux », souligne M. Durz.

En outre, les grandes plateformes en ligne sont tenues de publier des rapports réguliers pour expliquer quels outils et procédures elles utilisent pour détecter et supprimer automatiquement les fausses nouvelles. « Cela fait de l’Allemagne l’un des précurseurs dans la promotion d’une plus grande transparence sur les réseaux sociaux », se félicite M. Durz.

L’Assemblée nationale française discutera, en nouvelle lecture, d’obligations similaires dans le cadre du projet de loi « confortant le respect des principes de la République » à la fin du mois. La loi française comprend par ailleurs déjà une loi « anti-fake news », adoptée en 2018, qui prévoit la possibilité pour un juge d’ordonner le retrait d’un contenu signalé comme tel dans les 48 heures.

Limiter la viralité

Les plateformes en ligne, par leur ampleur, devraient avoir un rôle majeur à jouer dans cette lutte. Selon Mme Avia, la désinformation « est le défi de demain », car c’est « un mécanisme qui se développe et s’étend grâce à l’outil numérique, qui n’existe pas dans la même dimension ni avec les mêmes conséquences dans l’espace physique ».

M. Gozi exhorte les réseaux sociaux à s’attaquer à la diffusion rapide des fake news, ajoutant que « la question n’est pas de savoir comment fermer les usines à trolls en Russie, mais plutôt comment contrer leurs effets ».

La future loi européenne sur les services numériques – Digital Services Act, DSA — vise, entre autres, à réglementer les plateformes en transposant ce qui est illégal hors ligne à l’espace en ligne. Toutefois, la question de la désinformation, selon Mme Avia, n’est pas traitée de manière adéquate dans la proposition actuelle.

En amont du DSA, la Commission présente ses orientations pour lutter contre la désinformation

Les orientations récemment publiées sur le renforcement du Code de pratique sur la désinformation illustrent les attentes de la Commission européenne concernant les mesures anti-désinformation pour les plateformes en ligne.

Elle appelle les autorités françaises à ne pas attendre le DSA — qui pourrait prendre des années avant d’entrer en vigueur — pour mettre en œuvre des mesures appropriées.

« Nous sommes dans une situation d’urgence avec les élections à venir. Il est préférable de travailler sur une base de coopération et non sur des obligations imposées par la loi », explique-t-elle.

Dans la prise de position de La République en marche sur l’ingérence étrangère et la propagande numérique, ils recommandent de nombreuses mesures : la création d’une plateforme de signalement — un « Pharos des fake news » —, l’établissement d’une liste noire des diffuseurs de fausses informations ou une plus grande sensibilisation à ces questions, par exemple.

Ils reprennent également des éléments de la contribution de Reporters sans frontières au futur DSA dans laquelle l’organisation suggère que le règlement introduise des obligations pour « les plateformes [de] mettre en œuvre des mécanismes visant à mettre en évidence les sources
d’information qui respectent des normes professionnelles et déontologiques d’autorégulation standardisées et à leur accorder un traitement préférentiel en termes de
hiérarchisation des contenus ».

Facebook s’appuie déjà largement sur des partenaires médias « fact-checker », 80 dans le monde et quatre en France, tous certifiés par l’International Fact-Checking Network.

« L’enjeu est grand pour les plateformes, mais il l’est aussi pour les pouvoirs publics et les médias traditionnels. Je pense que le résultat réside dans la collaboration entre les trois », conclut Mme Avia.

Facebook ne sera pas "arbitre de la vérité" mais prend son rôle "au sérieux"

Dans le cadre des « Conversations avec Facebook« , le réseau social a organisé mercredi (17 mars) un échange sur le thème de la lutte contre la désinformation. L’occasion pour le géant numérique américain de revenir sur sa stratégie en matière de « fake news ».

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